Il y a quelques jours, j’ai reçu un texto d’Azariah qui disait qu’il m’invitait à dîner ce soir, justement. Je ne pense qu’à ça depuis que j’ai eu son invitation. Je suis vraiment contente d’avoir l’occasion de partager un peu de temps avec lui. Depuis quelques mois, on se fréquente de plus en plus et je me dis qu’heureusement qu’il est là parce que sinon, je verrais vraiment personne à part Jade, et mon mari quand il daigne rentrer.

Je me prépare comme si j’allais à mon premier rendez-vous. Ça fait plus de deux heures que je squatte la salle de bain – ce qui gêne personne d’ailleurs – et je me trouve toujours pas bien. Je sais pas ce qui me prend, c’est pourtant qu’un ami, non ?

Bain, c’est fait. Manucure, c’est fait. Epilation idem. Mais au moment de choisir ma tenue, ça se complique. En sachant qu’il faut que je prenne un truc qui ne craigne pas les tâches puisque je vais l’aider à cuisiner. Je finis par opter pour une robe noire, elle est sobre et classe en même temps. Je me maquille légèrement parce que j’ai en horreur les filles qui en mettent des couches. J’attache mes cheveux en un chignon et je crois que je suis enfin prête.

Je prends mon sac, ma veste et me chausse d’escarpins assortis, tout en sachant que je vais finir par les enlever au bout d’un moment. Je ne prends pas la voiture, de toute façon, on habite dans le même quartier et ça ne va pas me tuer de marcher un peu, en à peine cinq minutes j’y suis alors je ne vais pas chipoter.

Quelques minutes plus tard, je suis devant chez lui. Je vérifie rapidement dans un rétroviseur si je suis convenable et je me décide à frapper à sa porte. Quand il apparait dans l’encadrement, je lui adresse un large sourire :

« Bonsoir ! Comment tu vas ? »

Je lui laisse à peine le temps de répondre que j’ajoute :

« J’arrive pas trop tôt j’espère ? »

Oui, je pose cette question parce que je suis peut-être un peu en avance, comme je ne supporte pas d’être en retard, je laisse toujours une marge au cas-où. Enthousiaste, je lui demande en posant ma veste et mon sac sur le canapé :

« Alors, qu’est-ce qu’on prépare ce soir ? »

   

Je suis tellement heureuse de dîner avec Azariah ce soir que ça pourrait paraitre suspect. C’est vrai, on est que des amis, mais quand on dîne, en tête à tête, avec un homme alors qu’on a déjà un qui « nous attend à la maison », c’est assez étrange… Enfin, ça me gêne pas non plus. Qui me dit que je n’ai pas déjà partagé mon mari au moins une fois ? Avec tous ses déplacements, c’est probable. Mais depuis quelques temps, j’ai remarqué que ça m’atteint de moins en moins, la preuve, je songe à divorcer. Qu’on soit mariés ou pas, on n’est pas plus proches pour autant.

Comme à mon habitude, j’arrive en peu en avance. J’étais tellement pressée de déjà y être depuis quelques jours que j’ai dû partir bien trop tôt. Je frappe à la porte et presque instinctivement, je lui demande si je ne suis pas arrivée trop tôt et il me sourit – sourire que je lui rends -, avant de me laisser entrer en répondant que je suis dans les temps. Evidemment, ce n’est pas lui qui va me foutre dehors parce que je suis en avance de quelques minutes. Je lui dis dans un nouveau sourire – décidément :

« Bon tant mieux alors. Tu me connais… Je suis un peu trop ponctuelle parfois. »

Je me débarrasse de mes affaires avant d’enchainer :

« Ça va aussi, merci. »

Je compte pas l’embêter avec les histoires de mon mariage raté et tout ce qui va avec. Si je suis ici, c’est pour éviter d’y penser tout en voyant mon ami. D’ailleurs, c’est une des premières fois où je ne cuisine pas seule et ça me fait plaisir qu’on prépare le repas ensemble, du coup, je lui demande s’il a une idée de ce qu’on va faire.

Je ris légèrement à sa comparaison entre la cuisine et le champ de bataille avant de le suivre. C’est là que je me rends compte à quel point ça a changé, à quel point on a grandi… Il est vraiment devenu bel homme et tout ça, et peut-être que si j’étais restée y a des années… Non, ça suffit.

Bref. Il ouvre le frigo, et il ne semble pas inspiré, il dit alors qu’on va improviser. Je lui soumets donc une idée de repas :

« Si tu as des tomates, du steak haché et tout ce qu’il faut pour faire des pâtes à la bolognaise, on peut faire ça si tu veux ! Au pire, je peux aller chercher des ingrédients à la maison. »

Je jette un œil dans son frigo pour voir s’il a le nécessaire et en même temps, je poursuis la conversation :

« Sinon quoi de neuf ? »

   

Azariah compte improviser pour le repas. Pas que ça me gêne, mais faudrait quand même qu’on ait de quoi dîner et faire un vrai repas ! Je pense rapidement à faire des pâtes à la bolognaise, au moins, y a pas tant d’attente que ça avant de pouvoir se mettre à table. Il m’assure qu’il a tout ce qu’il faut donc je ne passerai pas chercher d’ingrédients chez moi. Quand il me complimente sur le fait que je sois un cordon bleu, je crois que je rougis tandis qu’il sort les aliments nécessaires. Je lui adresse un sourire timide :

« Je n’irais pas jusque-là mais disons que je me débrouille. »

Je finis par entamer la conversation un petit plus concrètement en lui posant la question que tout le monde attendait : « quoi de neuf ? ».  Evidemment, pas grand-chose. C’est sûr que sa vie n’est pas très mouvementée, à ce que je sache, il n’a même aucune femme dans sa vie et étrangement, j’en suis plutôt satisfaite. C’est vrai, ce serait bien pour lui et tout ça, mais je crois que j’aurais du mal à supporter ça. Puis elle prendrait probablement un peu ma place, ce qui fait qu’on verrait bien moins souvent. Je m’empare d’un couteau et commence à couper les tomates en petits morceaux, avant de demander, curieuse :

« Pas grand-chose non plus… ça va le boulot ? T’as des projets en cours ? »

Comme nos boulots sont du même milieu, ça facilite assez la conversation à ce sujet. Voilà qu’il me demande comment va ma famille. Seulement, est-ce que c’en est vraiment une ? Désormais, la seule famille que j’ai, c’est Jade. Dans ma tête, mon mari n’en fait plus partie depuis longtemps mais c’est vrai qu’il est là, lui… Enfin là, c’est un grand mot. Si j’avais su qu’un jour, il deviendrait comme mon père et le sien, jamais je n’aurais commis cette erreur, parce que oui, c’en est une. J’ai passé ma vie à le suivre, à l’autre bout du monde, et j’en ai marre d’être à sa disposition, voilà pourquoi j’ai décidé de vivre ici, comme bon me semble. Avant de lui répondre, je pose le couteau et m’adosse au comptoir en soupirant :

« A vrai dire, j’en sais rien. Andrew n’est jamais là, il est toujours en déplacement, tandis que Jade sort beaucoup et je ne compte pas la priver de sa jeunesse, donc je la laisse sortir, même si on ne se voit pas beaucoup. Quant à mon mari, il n’est jamais à la maison, son boulot compte bien plus que nous donc ce n’est pas vraiment la joie…  Peut-être que c’est tout simplement parce que je ne suis pas une bonne épouse, parce que je ne suis pas à la hauteur… »

Je me tourne de nouveau vers le comptoir et me remets à presque m’acharner sur ces pauvres tomates qui n’ont rien demandé à personne. Je secoue la tête, tout en tentant de retenir mes larmes qui menacent de couler :

« Pardon, je vois même pas pourquoi je te dis tout ça… »

C’est vraiment pathétique que j’en vienne à me plaindre à mon ami, ça se trouve, il a des problèmes bien plus importants que les miens et je trouve le moyen de me lamenter… J’aurais jamais cru que je deviendrai ce genre de femme, à toujours se lamenter sur son sort et se dire que sa vie est nulle. Je déteste ce que je suis devenue, la femme de quelqu’un…


   

Alors que chacun de nous se charge de couper un ingrédient, je lui demande des nouvelles de son boulot et c’est surprise que je découvre qu’il n’a pas beaucoup d’inspiration en ce moment. J’arque un sourcil et tourne la tête vers lui, dans une moue :

« Comment ça se fait ? Pas le moral ? »

C’est vrai que ça arrive dans nos métiers d’avoir des pannes d’inspiration mais ça m’étonne venant de lui… Il me retourne la question et je réponds dans un sourire :

« Ça va ! Je ne sais pas ce qui se passe en ce moment, mais les clients se bousculent ! D’ailleurs, heureusement qu’on se voit parce que je crois bien que j’aurais fini par frôler le burn-out ! »

J’achève ma phrase dans un rire avant qu’il demande des nouvelles de ma famille, ce qui change mon attitude aussitôt. Je finis par arrêter de couper les tomates en petits morceaux pour m’adosser au comptoir avant de soupirer. Je lui raconte alors à quel point plus rien ne va dans mon couple à cause d’Andrew qui est bien trop absent. Je suis au bord des larmes alors je me remets à cuisiner puis m’excuse de lui avoir dit tout ça. Je ne veux pas non plus l’ennuyer avec mes histoires…

En effet, il est mon ami même si plus ça va, plus je le considère comme bien plus, même si je sais que je ne devrais pas alors je réprime tout ce que je peux ressentir à son égard. Je m’aperçois qu’il s’approche de moi mais je continue de m’acharner sur ces pauvres tomates. Quand je sens sa main dans mon dos, je frissonne et je ressens quelque chose d’indescriptible que je n’ai jamais ressenti auparavant, quelque chose qui se rapproche d’une attirance extrêmement forte.

Je pose de nouveau le couteau sur le comptoir quand il essaie de me rassurer en disant qu’il est sûr que je sois à la hauteur, ce qui m’arrache un sourire.

« Mais tu vois… J’en viens à en douter. Si j’étais vraiment une bonne épouse, il serait quand même plus souvent à la maison… »

Il me fait encore comprendre qu’il est mon ami, alors je peux me confier à lui. J’essuie mes mains pleines de jus de tomates et je me rapproche de lui pour le serrer dans mes bras. Je tente de contenir mes larmes parce que je refuse de vraiment craquer. Je mords la lèvre et poursuis :

« Merci d’être là. Enfin tu sais, je crois que c’est la fin de notre mariage. Ça fait un moment déjà que ça dure et ça ne va pas en s’arrangeant, ça m’étonnerait qu’on puisse sauver notre couple… Parfois, j’ai envie de tout laisser tomber et partir avec Jade… »

Je mets un terme à notre étreinte et dis dans un sourire :

« Enfin ! Je ne suis pas venue pour me lamenter sur mon sort et je veux pas t’embêter avec tout ça, puis faut vraiment que je me change les idées… ! »

J’en ai fini avec les tomates alors je m’attaque à la carotte que je coupe en rondelles, et après, je coupe la viande en petits morceaux. Au bout d’un moment, je m’arrête et lui demande :

« Ça te dérange pas qu'on mette de la musique ? J’aurais besoin d'un partenaire pour répéter la chorégraphie de mon cours de tango… »

Etant donné que je sais qu'Azariah est un bon danseur...

Je me demande comment ça se fait qu'il n'ait pas d'inspiration pour le boulot en ce moment alors que je le sais très créatif. Comme je suis curieuse et que je m'inquiète aussi, je lui demande si c'est parce qu'il n'a pas le moral. Dans sa réponse, il reste quand même assez vague, il dit se poser plein de questions, ce que je peux comprendre parce que de mon côté, c'est pareil en ce moment, avec mon mariage qui bat de l'aile. J'ai l'impression de ne rien pouvoir faire pour l'empêcher de couler et c'est terriblement frustrant...


« Ah oui, je comprends. Enfin n'hésite pas si tu as besoin de m'en faire part surtout. »

Pour moi, c'est normal de lui proposer mon aide. Je suis là pour lui, il est là pour moi, nous sommes tout simplement de vrais amis. C'est vrai, j'aimerais tant m'en convaincre, qu'il n'y a que ça... Peu importe, là on parle de boulot et je dois me concentrer sur la conversation et sur rien d'autre. Il se fait du souci pour moi parce que je travaille trop mais je m'empresse de lui répondre dans un clin d'oeil pour le rassurer :

« T'inquiète pas pour moi, si jamais ça devient trop épuisant, je ferais en sorte de travailler un peu moins. »

Puis, on finit par aborder le sujet de ma famille qui se détruit, petit à petit, sans que je puisse faire grand chose, à part essayer de faire réagir mon mari par des engueulades... A cause de cette situation, ça me fait douter et je me dis que c'est peut-être moi qui suis en faute, que je ne suis pas une bonne épouse. Et c'est possible, je ne suis pas irréprochable loin de là...

« Oui t'as raison, mais le problème, c'est que j'aimerais l'avoir en face pour qu'on puisse vraiment en parler, plutôt que de me contenter d'un coup de fil entre deux avions... ça m'épuise tout ça. »

Ensuite, j'en viens même à serrer Azariah dans mes bras. Ce qui me fait penser que je n'ai même plus de contact, rien que physique, avec mon mari... C'est quand même désespérant. Après avoir dit à mon ami que ça n'irait sûrement pas en s'arrangeant concernant mon couple, je finis par briser notre étreinte.

C'est vrai, faut que je me change les idées et que je laisse les problèmes à la maison, comme si j'allais au boulot, même si cette soirée est déjà bien plus agréable.


« Merci encore. T'en fais pas, je te tiendrai au courant. »

Chacun de notre côté, on se remet à faire la cuisine et à un moment, je songe à quelque chose : mon tango qu'il faut que je répète. C'est l'occasion idéale, je sais qu'Azaziah est un excellent danseur et ça me fait justement sourire quand il fait le modeste en disant qu'il n'a que les bases. En allant mettre la musique, je dis simplement :

« Je vais te guider. »

Je repositionne sa main sur ma hanche et je mène littéralement la danse. Je n'avais pas vraiment pensé à quel moins cette proximité me rendrait dingue au point de ne pas arriver à me concentrer sur mes pas. Pourtant, d'habitude j'y arrive du premier coup... C'est quand même pas croyable, cet effet qu'il a sur moi, personne ne m'a jamais fait ça, même pas Andrew. Mon mariage, une monumentale erreur... Je n'ai jamais autant regretté que maintenant, si seulement il suffisait de claquer des doigts pour tout recommencer et choisir, pas seulement un amant, mais un ami aussi comme mari, je le ferais sans hésiter. Si seulement... Je m'arrête brutalement avant de me reculer, et passe une main dans mes cheveux.


« Pardon... Je fais n'importe quoi... Je crois que j'ai tout oublié. On peut pas juste danser comme ça, rien que pour le plaisir ? Parce que c'est vraiment un massacre... »

J'en ai presque les larmes aux yeux, ça me ressemble pas de craquer juste parce que je rate quelques pas... C'est comme si mon monde s'écroulait, même si c'est vrai, ça peut paraître ridicule parce que ce ne sont que des pas. Pourtant, c'est la situation dans laquelle je suis, mon monde s'écroule réellement et je me sens de plus en plus attirée par lui, c'est comme si je ne me maîtrisais plus... Mes jambes me porte jusqu'à lui, et pendant quelques secondes, je le regarde, droit dans les yeux tout en posant ma main sur sa joue.


« Je n'ai fait que des erreurs, mais la seule chose que je ne regretterai jamais, c'est de t'avoir rencontré... »