« If you were the winter, I know I'd be the snow »  

J’avais déjà vécu de nombreuses années, j’avais déjà connu le grand frisson, la vitesse et l’impression que la vie peut vous échapper en une seconde ; mais en plongeant dans les abîmes de son regard j’eus l’impression de connaître une nouvelle naissance. Je redécouvrais les goûts, les couleurs et les parfums, comment expliquer cette sensation ? Nous n’étions que des enfants mais les adultes nous enviaient notre insouciance et l’amour qui nous unissait. Nous étions heureux sans doute même sans s’en rendre compte, mais il avait fallu que je brise tout … « Comme tu le sais, d'ici quelques mois je serais diplômé et je pourrais travailler, mais Gold Coast c'est pas pour moi …  Je pars pour Londres à la fin du mois, tu veux venir avec moi ? » J’avais l’impression d’être enfermé ici, je ne supportais plus de voir toujours les mêmes visages et un de mes oncles m’avait fait une proposition que je ne pouvais refuser. Ma décision était prise j’allais quitter l’Australie. J’attendis plusieurs jours qu’elle me réponde, je nous imaginais déjà sur Piccadilly Circus ou aux pieds de Big Ben, main dans la main, unis à l’autre bout du monde. Mon espoir ne fut que de courte durée, elle ne pouvait pas venir … À cette annonce mon cœur se brisa mais mon amour propre me fit tourner les talons sans plus jamais chercher à la recontacter.

« Just give me a reason »  

Assis sur cette chaise, ce cercueil me semble désespérément froid et impersonnel. Les scellés en place m’arrachent un sourire amer, que croient-ils ? Qu’il finira par se relever ? Certains regards se tournent vers moi, ils ne comprennent pas bien entendu, mais ce qu’ils pensent de moi m’est bien égal. Leurs murmures me frôlent mais ne m’atteignent pas … « Il n’avait pas d’enfants, jamais marié ; c’est son neveu qui héritera de tout, regarde le, il sourit … » Je me souviens alors de notre première rencontre sur le sol britannique, il y a de cela trois années, il m’avait fait venir pour que je m’occupe de sa comptabilité mais il avait tout autre chose en tête visiblement. Un nouveau sourire étira mes lèvres ce qui fit parcourir un frisson dans toute l’assemblée ; tous me prenaient pour un vautour, un arriviste qui avait tout fait pour que son oncle lui lègue tout ce qu’il possédait, mais aucun ne savait vraiment ce qu’il s’était passé. Je n’avais rien demandé à personne, je voulais même rentrer à Gold Coast les semaines suivant mon arrivée à Londres, mais il m’avait retenu, me promettant un avenir bien plus lumineux sur le sol de sa majesté que sur l’île que j’avais quitté. Rapidement il m’avait appris sa passion, la pâtisserie et un tout nouveau monde de saveur s’était offert à moi. Une nouvelle façon de vivre et un retour aux sources grâce aux viennoiseries françaises qu’il affectionnait tant. L’économie que j’avais étudiée à l’université n’avait plus aucun attrait pour moi ; je ne vivais plus que de farine, de moules à gâteau et de céréales. Comprenant alors ma vocation, il avait de moi son apprenti et était devenu mon mentor.

« I'm addicted and I just can't get enough »  

Debout devant cette baie vitrée, du haut du quinzième étage j’observe la tamise. Elle s’étend là à mes pieds. J’ai construit un empire en moins de quatre ans, un empire de sucreries et de pâtisseries ; mais je n’en suis pas heureux pour autant … La solitude me pèse, ma famille restée en Australie me manque, elle me manque. Quoi que je fasse, tout me ramène à elle, je ferme les yeux et je vois son sourire, j’entends l’éclat de sa voix et je me brise à chaque fois un peu plus. Une main se pose sur mon épaule et en tournant la tête j’aperçois le visage de celle que j’ai choisis pour diriger mon entreprise lorsque je serai parti, parce que oui, j’ai décidé de m’en aller ! « Tu as fait le bon choix Austin. Cake&Math a besoin de s’exporter et l’Australie est un bon marché. » Elle semble si sûre d’elle et moi si peu que j’ai l’impression d’être un enfant avant sa rentrée scolaire. Dans deux heures je prends l’avion et rien qu’à cette idée mes mains deviennent moites et ma bouche s’assèche. Pourquoi faut-il monter dans un de ces engins ? Pourquoi être si loin de chez soi ? « Je sais que tu représenteras très bien mes intérêts, ce n’est pas ce qui m’inquiète. » C’est même bien loin de mes pensées alors que ce devrait être ma principale inquiétude. Tout ce à quoi je pense c’est à elle, sera-t-elle là ? « Je dois rentrer prendre mes bagages, et prendre cette saleté d’avion ! C’est tout ce qui me préoccupe pour l’instant. » Un brin d’humour pour changer de sujet, je la fais sourire tout en quittant se bureau pour de nombreux mois. Gold Coast, j’arrive !