il était une fois...
Jules ! La mère de Félicité est là ! Le gamin grimace légèrement, pour tout ce que ça pouvait signifier. Petit un, elle allait partir et il resterait tout seul avec ses parents. Même si papa et maman étaient gentils, ils n'étaient pas aussi drôle que Fizzy. Petit deux, il allait devoir ranger sa chambre et ça, c’était presque aussi horrible que petit un. Le drap étiré entre le bureau et le siège formait une tente des plus sommaires. Seul havre de paix entouré de tout les coffres à jouet ouvert et vidés de leurs contenus pour être éparpillés aux quatre coins de la pièce. La lampe de chevet avait quitté sa place habituelle pour s’inviter dans la cabane improvisée, dessinant les silhouettes des deux enfants sur les draps blancs.
JULES ! Pfffffff oui deux secondes. Il se retourne vers son amie qui a l’air tout aussi emballée que lui.
Promets moi que tu seras toujours ma copine. La demande est innocente et spontanée, on pourrait lui demander pourquoi il lui demande ça qu’il ne saurait pas quoi répondre. Mais ça n’a même pas l’air de l’étonner et elle se contente d’acquiescer.
Promis juré ! Il sourit et sort une seconde de leur abris revenant avec un de ces ciseaux coupe-beurre qu’ont en général les enfants.
On va faire un pacte comme les indiens ! Les enfants et leurs idées… Mais elle l’arrête dans son geste alors qu’il tentait d’entailler un doigt se rendant finalement compte de l’inefficacité de son outil.
Mais arrête ! T’es bête ! La réflexion n'a pas l’air de lui plaire puis que sa moue triste semble s’intensifier.
Mais pour faire comme les indiens… On a qu’à faire comme les grands. Là, elle l’a perdu. Il n’a jamais entendu parler de pacte passé entre les grands.
Comment ? Elle s’approche sûre d’elle et vient planter ses lèvres sur celles du garçon qui écarquille les yeux surpris. Ça dure une demi-seconde, à peine, pourtant il est tout rouge et il a mal au nez parce qu’il s’est cogné au sien. Visiblement ça la fait rire son air gêné et lui il se vexe, essuyant ses lèvres sur sa manche avec une mine dégoutée comme si il venait d’embrasser une limace, ce qui la fait rire d’avantage.
Mais c’est dégueu’ ! Elle hausse les épaules avec un air innocent et finit par se lever puisque le père du jeune homme à l’air de perdre patience.
BON JULES ! Fais gaffe, je vais monter ! Mais lui il a du mal à comprendre ce qu’on raconte pour le coup et il ne réagit même pas tandis qu’elle finit par s’en aller. Finalement il finit par s’endormir à l’abris sous sa tente, réfléchissant sur les bizarreries du pacte des adultes qu’il trouve sympa finalement, mais moins que le pacte des indiens.
Arrête de la regarder comme ça… ça devient gênant. Va la voir plutôt. Pétrifié à l’idée d’être ainsi surpris je me détourne du carreau pour reporté mon attention sur mon père qui vient de rentré dans la cuisine. Même si il n’a jamais cherché à ouvrir le sujet Fizzy avec moi, il y avait une sorte de compréhension intuitive entre lui et moi.
Elle a l’air plutôt occupée… Je doute qu’elle soit ravie de me voir débarquer. Perplexe, mon paternelle jette un coup d’oeil par dessus mon épaule et ne peut réprimer une légère grimace qui doit plus ou moins signifier ‘ Toute mes condoléances fiston. ’ auquel je répond par un haussement d’épaule essayant d’apparaitre le plus détaché possible. Pas comme si la vision de Fizzy entrain de nous faire une séance de spéléologie approfondie de la bouche d’un de nos camarades de classe me soit surprenante après tout. Ce qui l’était d’avantage c’était mon envie dévorante d’aller mettre mon poing dans la gueule de cet imbécile heureux. Après tout j’étais plutôt du genre non-violent et puis Fizzy avait toujours été claire sur le fait que j’étais seulement son meilleur ami et bordel, ça faisait un mal de chien. J’ai rejeté cette idée autant que j’ai pu, j’ai nié en bloc l’ébauche de sentiment qui venait doucement entaché notre amitié mais autant tenté d’éteindre un incendie avec un verre d'eau. Merde, je me suis senti tellement malhonnête vis à vis d’elle à ressentir tout ça, mais je connaissais assez Fizzy pour savoir qu’être honnête n’aurait rien arrangé. Plus handicapée qu’elle avec les sentiments je connaissais pas. Elle enchainait les hommes comme certains enchainent les clopes. Et moi, le grand couillon derrière, elle devait être la seule du lycée à n’avoir rien remarqué. Quoi que… Ces dernières semaines j’avais l’impression désagréable qu’elle m’échappait.
Tiens… T’as reçu la réponse du Japon. Merde c’est vrai le Japon… Je les avais complètement oubliés. Le diplôme en poche j’avais décidé de laisser tomber les études, puisqu’avec mon niveau je n’aurais jamais survécu à la fac, du coup j’avais envoyé mon cv et quelques unes de mes créations à plusieurs boîtes du pays et au delà pour un petit boulot ou peut être un stage. Au début je m’étais cantonné à l’Australie pour ne pas m’éloigner mais les lettres de refus revenaient par cartons et avec l’éloignement de Fizzy, j’étais passé à l’international. Plus sous le coups du désespoir et de la colère que par réelle ambition. Mes chances étaient minimes et je ne me faisais pas vraiment d’espoir.
Ha… Et alors ? T’es accepté ! La fierté et la joie étaient très largement perceptible dans la voix de mon père mais moi j’y arrivais pas. Tout ce à quoi je pensais c’était Fizzy. J’allais devoir la quitter pour aller au Japon tandis qu’elle prenait son pied à rouler une pelle à monsieur sans cervelle en toute insouciance. J’ai vraiment une chance de cocu… Si je ne répondais pas immédiatement à leur lettre, le poste allait me filer entre les doigts et j'étais à condamner à enchainer petit boulot sur petit boulot. Tout ça pour quoi ? Bonne question. Un soupire et un nouveau coup d’oeil dehors mais cette fois c’est pas la jalousie qui m’envahit mais juste la tristesse. Avec ce qui se passait, je n’avais même pas pu vraiment lui en parler, manque de courage. Comme pour beaucoup de choses d’ailleurs. Comment je pourrais lui annoncer ça ? Est ce que j’en avais seulement envie de ce boulot ?
Tu peux pas mettre ta vie entre parenthèses juste pour elle Jules… Faut que t’ailles lui parler. Visiblement mon conflit intérieur était plus que perceptible, et je tentais de faire un sourire rassurant à mon père bien que déformé par le miroir de la tristesse.
Ouais… Je crois qu’il est temps.Les jours se sont écoulés pour doucement devenir des semaines, puis des mois, et enfin des années. Cinq ans pour être plus précis alors qu’au départ je ne devais rester que 6 mois. Un dépaysement totale, perdre tout mes repères pour repartir sur des nouvelles bases. Mon départ avait été un peu précipité, j’étais parti sur un coup de tête, le coeur vidé de tout espoir. Je crois que les premiers mois j’ai surtout survécu, repoussant mon envie de rentrer pour trouver un moyen d’arranger les choses avec Fizzy.
Tu peux pas m'aimer. T'as pas le droit ! Ça gâcherait tout, on va tout détruire et j'ai pas envie de perdre mon meilleur ami, mon frère, mon jumeau, la meilleure partie de moi, tu vois… Les mots tournaient dans ma tête comme une comptine malsaine collé dans le fond de mon cerveau. Frère jumeau… La claque. Pire que la friend zone. Un frère ?! Jamais il nous viendrait à l’idée d’avoir des sentiments pour son frère ! Et moi… Pathétique. Vraiment pathétique, à la limite du malsain. Jamais j'ai demandé à être son frère ou la meilleure partie d'elle, moi tout ce que je voulais... Bref, on s'en fout c'est du passé. Je ne m’était pas enterré chez moi pour mourir de honte mais j’avais pris le premier avion pour Tokyo dans l’espoir de tout oublier. Recommencer là où personne ne me verrait comme le pauvre mec qui s’était pris une sacrée gifle de la part de sa meilleure amie.
Jules… Un rappel sur terre, enfin si je puis dire puisque l’avion était en route pour Gold Coast. Dawn, toujours là dès que je m’égarais un peu. Une fois de plus j’essaie de la rassurer avec un sourire mais elle n’est pas dupe. C’est flippant parfois cette manie de deviner ce à quoi je pense. Pourtant elle ne dit rien, elle a l’habitude. Pire que tout, elle arrive à comprendre. Un an qu’on est ensemble, on avait déjà tenter notre chance au lycée mais ça n’avait rien donné. Je n’étais pas prêt et je n’avais fais aucun effort pour la garder malgré toute sa patience. Aujourd’hui c’était différent, ça faisait 5 ans que je n’avais eu aucun contact avec Fizzy et tout ce qui pourrait me faire avancer était la bienvenue. J’appréciais énormément Dawn, parfois j’avais même l’impression que je l’aimais sincèrement. Notre histoire a vraiment mis le temps avant de se concrétiser, elle faisait partie des rares avec qui j’avais gardé contact avec mes parents. Elle était une amie parmi d’autre, rien de plus, rien de moins. Mais elle était venue à Tokyo, une fois, puis deux, jusqu’à ce que je la vois plus que mes parents. Pourtant elle n’a jamais rien tenté, elle s’est contentée d’attendre jusqu’à ce que ça soit moi qui fasse le premier pas. Sa patience n’avait d’égale que son obstination, et moi j’avais parfois l’impression d’être un pantin désarticulé à qui elle ré-apprenait pas à pas à aimer ou du moins à vivre. C’est pour ça que j’avais accepté de rentrer au bercail, d’arrêter de me planquer au bout du monde. Si je voulais que ça marche il faudrait plus que des conversations via internet et une ou deux semaines tout les deux mois, alors elle était venue m’aider à faire mes valises pour emménager chez elle à Gold Coast. Elle avait été jusqu’à chercher des boulots susceptibles de m’intéresser pour finir de me convaincre et ça avait marché. J’avais fini par céder, faut dire qu’elle pouvait être sacrément tenace une fois qu’elle avait une idée en tête et je faisais de mon mieux pour le lui rendre parce que j’avais sincèrement envie que ça marche finalement.
Le stylo roule jusqu’à mes pieds, et je me demande de plus en plus si c’est une bonne idée. Elle a pas l’air d’humeur à discuter vu la façon qu’elle a de maltraiter ses affaires, enfin j’ai toujours l’assurance de savoir que même si elle le voulait elle ne pourrait pas me balancer aussi facilement à travers la pièce moi au moins. Je ramasse le pauvre exilé et m’approche pour le reposer sur la table, rejetant l’idée qu’elle puisse me foutre la trouille, c’est Fizzy quand même !
Eh bien, y en a une qui est très énervée après un pauvre stylo. Elle relève les yeux et j’ai le palpitant qui s’emballe. Merde, je commençais à le croire mort celui là et c’est maintenant qu’il décide de se réveiller.
Salut Fizzy. Elle a l’air… perdue. Ouais c’est le mot, perdue. Mais je préfère ça qu’en colère pour mon départ précipité il y a 5 ans ou pour ne pas l’avoir prévenue de mon retour.
Wah ! Jules… C’est bon signe, j’imagine. Je crois que ça me ferait sourire si c’était pas déjà ce que j’étais entrain de faire comme un idiot depuis qu’elle avait levé les yeux sur moi.
Ça fait longtemps. J’acquiesce me retenant de justesse de lui faire des excuses. Finalement ça nous avait sûrement été bénéfique, si j’étais resté, ça n’aurait qu’empirer les choses.
C'est vrai, cinq ans ça peut paraître long. Mais je suis revenu, j'avais besoin de rentrer à la maison, et puis quelqu'un m'attendais alors me voilà. Je sais pas vraiment pourquoi je lui parle de ça, peut être pour lui signifier que c’est bon. J’avais bien compris le message il y a 5 ans, que je m’étais soigné, enfin que je croyais être soigné. Mais maintenant que j’y étais, je prenais conscience de tout le chemin qu’il me restait à parcourir. Loin des yeux, loin du coeur ok. Mais quand on revenait ?
Qui donc t'attendais ? Sa question me laisse perplexe. La dernière fois que j’avais croisé sa mère, elle m’avait avoué un peu honteusement avoir parlé de mon retour à Fizzy, j’en avais déduis qu’elle lui avait tout raconté. Mais qui pourrait m’attendre à part Dawn. Quand j’étais parti, mes parents m’avaient encouragés et elle… Sans dire qu’elle m’y avait poussé, ça m’apparaissait comme la meilleure chose à faire.
Je pensais que ta mère te l'avais dis. Je suis en couple, depuis bientôt un an. Ma voix serait presque hésitante, comme si je lui avouais une connerie que j’ai faite.
Oh, tout plein de bonheur. Je l’ai déjà plus enjoué, mais je me refuse à toute interprétation. L’entrevue s’écourte rapidement et c’est presqu’un soulagement de finalement avoir réussi à lui dire tout ça sans me rendre ridicule. Pourtant elle me manque déjà. Plus je la vois et plus elle me manque. Quelque chose à changer entre nous et ça me désole parce que je sais que c’est ma faute. Mais je sais qu’en rentrant, Dawn sera là à m’attendre pour me ramener sur terre, pour me réconforter jusqu’à ce que je puisse lui sortir un sourire sincère et ça me rassure déjà dans un sens. L’équilibre obtenu après 5 ans au Japon ne peut pas se casser la gueule en 5 minutes quand même.