-Je t’en prie Lily, il faut qu’on parle, retrouve-moi au Starbucks dans une heure s’il-te-plaît… J’ai pas envie que ça se termine comme ça-




Wyatt tentait désespérément de sauver son couple qui semblait tout juste capable de tenir la tête hors de l’eau. Il avait cru qu’ils seraient assez forts pour garder le secret plus longtemps, qu’elle pourrait supporter de ne rien dire pour pouvoir un jour être heureux, en attendant qu’il réalise son rêve et gagne de l’assurance. Peut-être qu’il avait un peu trop sous-estimé le poids de ce lourd secret et les conséquences qu’il entraînait. Il aimait Delilah à la folie, mais avait bien trop peur pour oser le dévoiler au grand jour. Et si on le forçait à être celui qu’il n’était pas ? Et s’il était soudain obligé de s’engager définitivement, risquant de tout gâcher aussi bêtement ? Il avait bien vu ce que l’alliance avait fait à ses parents. Il savait ce que c’était qu’un mariage qui tombe à l’eau. Il avait vu le regard méprisant de sa mère quand elle le regardait. Il avait entendu leurs cris lorsqu’ils se disputaient sans raison. Il avait vu sa mère disparaître un jour et ne plus jamais réapparaître. Il n’avait pas envie que son couple finisse de cette manière. Il aimait bien trop Delilah pour risquer de la voir partir de la même manière. Pour lui, l’engagement signifiait la fin. Et le secret, c’était la continuité. Peut-être que c’était un raisonnement assez immature, mais c’était pour lui le plus rassurant. Il savait qu’elle voulait plus, et une part de lui aurait voulu lui donner ce qu’elle demandait, mais il n’avait pas pu s’y résoudre.

La peur, c’était bien ce qui faisait de Wyatt un lâche. Il n’affrontait pas ses craintes, et le payait à présent. Lily lui en voulait. Elle lui en voulait terriblement de ne pas avoir été là pour la soutenir à la mort de son frère. Son frère, elle l’adorait, il le savait. A sa mort, elle avait été anéantie. L’enterrement avait eu lieu, et il n’y était pas allé, pour préserver leur secret. Il avait aussitôt regretté lorsque, plus tard, elle se mit à refuser ses appels et ne répondre à aucun de ses messages. Il avait même cru un instant qu’elle avait fait une bêtise dont il ne se relèverait pas. Finalement, il était allé la voir en cachette comme il le faisait autrefois et avait été rassuré de voir qu’elle était toujours là. Elle lui en voulait terriblement, et avait fini par lui demander de choisir. La révélation ou la rupture. Il avait cru mourir lorsqu’elle lui avait annoncé cet ultimatum. Il n’avait aucune envie de la perdre. Pas elle. Il avait bien trop besoin d’elle dans sa vie. C’était son rayon de soleil, c’était la raison pour laquelle il arrivait encore à se lever le matin. Hors de question de la perdre ainsi. Et pourtant, révéler leur secret était impossible pour lui. Il y avait bien trop de choses en jeu. Il fallait qu’il lui parle, qu’il lui explique, qu’elle comprenne son point de vue pour qu’ils puissent se mettre d’accord sans avoir à tout dévoiler ou se quitter.

Ce fut pour cette raison qu’il envoya un message à sa petite-amie, lui demandant de le rejoindre au Starbucks pour discuter. Un endroit public n’était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais il fallait qu’il lui parle, et ce n’était pas possible chez elle, et il préférait sortir que de rester chez lui. Il attendait donc au café, regardant son téléphone toutes les trente secondes pour vérifier l’heure, stressé qu’il était qu’elle ne se montre pas. Finalement, elle arriva près de lui, ne semblant pas de très bonne humeur. Il sourit faiblement, sans l’embrasser, sans la tenir par la main, sans oser un quelconque geste qui pourrait montrer qu’ils étaient plus que de simples amis. Il n’était pas encore prêt pour la révélation. « Lily… Désolé. Reste s’il-te-plaît, j’aimerais qu’on en parle… » Il s’excusait de ne pas révéler leur secret, sachant qu’elle comprendrait de quoi il voulait parler, baissant légèrement la tête, honteux de la décevoir.

De toute sa vie, Lily avait toujours été la personne la plus importante à ses yeux. Ils s’étaient rencontrés alors qu’ils n’étaient que des enfants, et à présent qu’ils étaient adultes, ils demeuraient ensemble. Ils avaient grandi l’un avec l’autre et Wyatt n’aurait jamais pensé qu’elle pouvait un jour disparaître. Pour lui, il était évident qu’ils vieilliraient ensemble, quoi qu’il puisse advenir. Il l’aimait tellement que l’inverse aurait été impossible. Et pourtant, lui qui en était si sûr, il n’était pas capable de prendre ses responsabilités pour dire à tous qu’elle était l’être le plus cher qu’il avait en ce monde. Le choix qu’elle lui proposait était trop difficile pour lui. La perdre, il en était hors de question, mais qu’arriverait-il si leur relation devenait officielle ? Il serait alors pris au piège dans un monde qu’il ne comprenait pas, à devoir supporter le regard méprisant de ses parents ? Il ne supporterait pas bien longtemps d’être pris pour un moins que rien. Peut-être qu’ils l’obligeraient même à se marier, à s’emprisonner à tout jamais, à salir leur relation avec un bout de papier qui pourrait bien tout gâcher. Il n’avait pas envie de ça. Il avait peur que rien ne soit plus comme avant. Il tenait à elle, et n’avait aucune envie de s’en éloigner aussi bêtement.

Il ne pouvait pas choisir. Aucune des deux propositions ne lui semblait convenir, aucune ne paraissait idéale. Elle avait été bien cruelle en lui proposant se dilemme. Il lui avait donné rendez-vous pour qu’ils s’expliquent, espérant qu’elle comprenne peut-être son point de vue et l’accepte enfin, voulant par la même se faire pardonner de ne pas avoir été là pour elle. S’il y avait bien une chose qu’il détestait dans ce secret, c’était de ne pas pouvoir la soutenir lorsqu’elle en avait besoin. La mort de son frère, c’était abominable, et il savait à quel point elle l’aimait son frère. Il aurait voulu lui offrir son épaule pour qu’elle s’y repose, mais il avait préféré s’éloigner pour garder le secret. Peut-être qu’il aurait pu venir en tant qu’amis, mais l’aurait-on laissé rentrer ? Il n’en savait rien.

Il attendait au café, regardant le paysage d’un air triste, la peur au ventre à l’idée qu’elle disparaisse pour toujours. Il pleuvait dehors, comme depuis dix jours. A croire que ça ne s’arrêterait jamais. Il avait l’impression de ne jamais avoir vu le soleil, comme si tout espoir avait quitté ce monde. Il regardait l’heure, de peur qu’elle ne vienne pas, comme ils étaient déjà en froid… Finalement, la porte s’ouvrit sur Delilah, habillée tout en noir, chose dont elle avait pris l’habitude depuis la mort de son frère. Il n’aimait pas la voir aussi triste. Il aimait la voir sourire, porter ces beaux vêtements colorés qui lui correspondaient, l’entendre rire aux éclats à ses blagues stupides. Son bonheur lui manquait. Il allait falloir du temps avant qu’elle ne se remette, et il allait certainement malgré lui l’enfoncer un peu plus. Elle s’assit en face de lui et il sourit tristement, sans la toucher, comme s’ils n’étaient que de vieilles connaissances. Il s’excusait déjà avant même de s’être expliqué, et lui demanda de rester. Elle lui répondit, le ton triste, mais sans aucune froideur, ce qui l’étonna quelque peu.

Il avait peur que ce jour soit celui qui marquerait la fin de leur relation. Il ne voulait surtout pas la perdre. Il regardait autour de lui pour vérifier que personne n’écouterait, devenant presque paranoïaque. Il s’approcha ensuite d’elle pour ne pas avoir à parler trop fort, tenant à rester discret à tout prix, puis il prit une grande inspiration et commença son explication. « Lily… Tu peux pas me demander ça… Je ne veux pas te perdre, tu comprends ? Je ne veux pas qu’on en reste là, j’en mourrais ! » Il posa la main sur sa poitrine comme pour lui montrer l’endroit où ça ferait mal, marquant une pause, puis… « Mais… » Il y avait toujours un mais avec lui. « Mais tout dévoiler… Imagine un peu que tes parents te rejettent pour ça ? Ca serait stupide, mais c’est possible ! Imagine qu’ils m’obligent à jouer les maris d’aristocrates en abandonnant mes rêves ! Tu peux pas me demander de tout risquer… Pas maintenant… On risque absolument tout s’ils apprennent la vérité ! S’il-te-plaît… Patiente encore un peu… Quand j’aurai réussi à devenir chef cuisinier, je te promets que j’irai moi-même les voir pour tout leur dire. Mais je t’en prie, ne me quitte pas… » Il osa enfin poser sa main sur la sienne, la tenant aussi fort que possible sans lui faire mal, juste pour la retenir, juste pour lui montrer qu’il tenait à elle, qu’il avait besoin qu’elle soit là, avec lui. Oui, lorsqu’il aurait réussi, il dirait tout. Il espérait qu’elle ait la patience d’attendre jusque là…