« T'es riche ? ». Trois mots. Les trois premiers qu'elle m'a adressé. Je devais avoir une dizaine d'années. J'ai sauté une bonne partie de ma vie mais tout ce qu'il se passe entre est sans grand importance. J'étais un gentil petit garçon, entouré et aimé. Rien qui ne mérite qu'on s'y attarde. Alors passons directement au chapitre suivant. Elle. Lou-Ann. Les voisins d'en face venaient de déménager. Ou alors ils avaient été assassinés... Peu importe. L'important, c'est que maintenant, c'est sa famille à elle qui y vivait. Je pense finalement qu'ils avaient juste déménager. Faudrait être fou pour vivre dans une maison où il y a eu un meurtre. Bref, je m'égare. Je rentrais de l'école avec mon cartable à roulettes quand elle m'a abordé de cette façon étrange. Avec le recul, j'ai vraiment dû la regarder de travers à ce moment-là. « Non. Et toi t'es riche ? ». Je me souviens qu'elle a mis un long moment avant de répondre. Comme si elle posait le pour et le contre de sa réponse... Et tout ça à dix ans à peine. Je crois qu'elle a toujours été plus intelligente que moi. Qu'elle a toujours eu une longueur d'avance sur moi. Mais je me fais peut-être des idées. « Non. Tu t'appelles comment ? ». « Noa. ». La première fois, je l'ai vraiment trouvé bizarre, Lou-Ann. Mais d'une façon ou d'une autre, je savais qu'on allait finir par faire notre vie ensemble. Pas plus haut de mes dix petites années, je le savais. Ce n'était pas un coup de foudre. Je n'y crois pas à cette connerie. Et puis, je n'étais pas amoureux d'elle à ce moment-là. Je ne savais même pas ce que c'était. C'est juste... Vous savez le truc que vous les filles vous invoquez pour justifier quelque chose sur tout et n'importe quoi ? L'intuition féminine ! Et bah c'était un peu ça. L'intuition masculine. « Moi c'est Lou-Ann. ». Et on a fini la journée chez elle à manger des cookies aux smarties devant les pokemons. Depuis ce jour là, on est devenu inséparable. Collés comme de la super glu. Comme cul et chemise. Comme starsky et hutch. Comme docteur jekyll et mister hyde. Bref, vous avez compris je crois. Elle était ma meilleure amie. Et je doute qu'elle ait été un jour plus que cela... Mais chaque chose en sont temps. Passons au chapitre suivant.

Et ce chapitre n'est autre que celui de... tadam... mon mariage ! Mais bon, faisons les choses dans l'ordre. D'abord la demande. Vous êtes déjà entrain de vous poser des question sur le lieu, le discours de ma demande, tout ça tout ça. J'vais vous facilitez la tâche, laissez tomber. Ce n'est pas moi qui est fait ma demande, mais elle. Je crois que si elle avait attendu que je me jette à l'eau, elle n'aurait toujours pas la bague au doigt à l'heure qu'il est. Mais elle ne le saura jamais. Elle ne saura pas non plus que quand elle m'a posé cette fameuse question, j'ai hésité une fraction de seconde avant de dire oui. Ce n'était pas sa faute à elle, ni même de son speech. Il était juste sublime son petit discours. Il m'a même mis les larmes aux yeux si je me souviens bien. Et puis elle, elle est juste parfaite. Non, il n'y avait vraiment rien à dire. Elle s'est même mise à genoux, c'est pour dire. Non, c'est moi. Je n'étais pas sûr de le vouloir. De vouloir devenir son mari, qu'elle devienne ma femme et qu'on passe devant le prêtre. C'est peut-être horrible à dire, mais qu'est-ce que j'y peux. C'est arrivé, c'est un fait. J'ai hésité. Tellement hésité, tellement eu peur de me dégonfler que je lui ai proposé qu'on se marie le soir même, rien que tous les deux, dans la chapelle du coin. Elle a trouvé l'idée superbe. Je ne sais pas pourquoi mais tant mieux, parce que je ne sais pas ce que j'aurais fait si elle avait refusé. Je me suis quand même bien préparé pour l'occasion. Après tout, c'était quand même mon mariage. Peu importe le nombre d'invité ou la grandeur de la cérémonie. J'avais mis mon plus beau smoking. Qui en soit n'est pas génial, mais c'est l'intention qui compte. Et elle, elle avait une robe de mariée. Une vraie de vraie. Je ne sais pas comment elle a fait pour en trouver une à petit budget dans un temps aussi limité. Après tout, j'étais étudiant en médecine et elle aussi était dans ses études. On était deux pauvres étudiants fauchés. Enfin si, je sais comment elle a fait. Elle m'a dit qu'elle l'avait trouvé dans une friperie. Elle a vraiment eu de la chance pour le coup. Et au moment de prononcé le fameux « je le veux » devant le prêtre... Encore une fois j'ai hésité une fraction de seconde. Et encore une fois, elle ne le saura jamais. Et ce doute ne m'a jamais quitté, même aujourd'hui.

L'étape suivant habituellement le mariage est la conception d'un enfant. Habituellement. Seulement parfois, ça ne se passe pas comme ça. Et cela ne s'est pas passé comme ça pour nous. Je pensais sérieusement que ça venait de moi à l'époque. J'en étais persuadé. Pas que je ne le voulais pas. Je voulais former une famille plus que tout. Mais parce que j'avais l'impression d'une certaine façon que quelque chose clochait chez moi. Quelque chose dont je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus. Naturellement, nous sommes allés avec Lou-Ann consulté un spécialiste. Nous avons fait des tests chacun de notre côté. C'était il y a quelques jours. « Je n'en peux plus d'attendre. ». En effet, elle tournait en rond depuis le jour où nous avons fait ces tests. Je ne savais pas quoi faire pour l'aider à part la prendre dans mes bras. « Les résultats ne devraient plus tarder maintenant. ». Un petit rire lui a échappé, probablement nerveux. « Tu me dis ça tous les jours depuis une semaine. ». J'en avais conscience, mais je ne savais pas quoi lui dire d'autre. Cette histoire la perturbait bien plus que moi. « Tu pourrais peut-être leur passé un coup de fil. ». Elle a hésité face à ma proposition, je l'ai bien vu. Elle voulait savoir, mais en même temps, elle ne le voulait pas. C'est compréhensible. Pourtant, elle s'est tout de même emparée du combiner et à composé le numéro. Elle a attendu tellement longtemps que j'ai bien cru que personne n'allait répondre. Je n'ai d'abord eu le droit qu'à une partie de la conversation. « Docteur, ici madame Eastwood. Désolée de vous déranger, je voulais savoir si vous aviez des nouvelles nous concernant. ». Je ne sais pas si elle espérait une réponse positive ou négative à ce moment-là. « Je vois... Et alors ? ». J'en ai conclu qu'ils en avaient. « Ce qui veut dire ? ». J'avais fait assez de stage en milieu médical pour savoir qu'il avait utilisé des termes scientifiques et n'avait pas été spécialement précis. Elle a lâché le combiner et s'est tourné vers moi. Rien qu'à sa tête, je connaissais la réponse avant même qu'elle prenne la peine de m'éclairer. « Je suis stérile. ». Elle s'est effondrée. Son monde s'écroulait. Son rêve se brisait.

Nous étions quelques années plus tard. J'étais en dernière année de médecine. La dernière ligne droite avant le diplôme. Enfin. Cela faisait quelques temps déjà que Lou-Ann exerçait son métier d'assistante sociale. Et c'était nos quatre ans de mariage. Pour l'occasion, je nous avais concocté une petite soirée sur la plage. Le romantisme, ce n'est pas vraiment mon truc, mais j'étais plutôt fier de moi pour le coup. Nous avions pique-niqué devant un joli coucher de soleil et nous étions maintenant enveloppés dans une couverture à regarder les vagues s'écraser à nos pieds. « Il faut que je te parle. ». Le ton de sa voix m'a étonné. « Quelque chose ne vas pas ? ». Je lui aurais bien dit qu'elle choisissait plutôt mal son moment pour une discussion sérieuse mais quelque chose dans son attitude m'a bien fait comprendre qu'elle était plutôt déterminée. « Non, tout va bien, ne t'inquiètes pas. ». Elle a fait une pause. Elle devait chercher ses mots. « Tu vois, je travaille sur un cas en ce moment. Une fille. Une adolescente. ». Si elle n'était pas aussi sérieuse, j'aurais cru à une blague de mauvais goût. Elle parlait sérieusement de boulot pour notre quatrième anniversaire de mariage. Mon expression a dû lui mettre la puce à l'oreille. « Je sais que ce n'est pas vraiment le moment pour ça... Ou alors c'est peut-être le moment idéal, je ne sais pas... ». Je ne pouvais pas être plus perdu. « Tu veux en venir où Lou-Ann ? ». Elle a inspiré un bon coup. Elle commençait vraiment à me stresser. « D'accord. Voilà le truc. Cette fille, elle se fait battre par son beau-père... Entre autres choses. Pas besoin de te faire un dessin. Du coup, on va la placer en famille d'accueil. ». « C'est vraiment moche ce qui arrive à cette fillette, mais je ne vois toujours pas pourquoi tu m'en parles. ». Je voyais bien qu'elle avait du mal à cracher le morceau. J'aimerais juste qu'elle arrête de tourner autour du pot. « J'aimerais qu'on se propose en tant que famille d'accueil. ». J'en suis resté bouche bée. Littéralement. Je n'ai pas sorti un mot pendant plusieurs longues minutes. Elle n'a pas cherché à me faire parler, elle savait que ça ne servait à rien avec moi. J'avais envie de fonder une famille. Et je savais que la stérilité de Lou-Ann la pesait. Mais je ne savais pas si c'était la meilleure solution. Adopter une fille déjà adolescente alors qu'on n'avait même pas vingt-cinq ans. Et pourtant. « D'accord. ». Un mot après plusieurs minutes de mutisme. Mais je ne savais pas quoi dire d'autre. Mais j'étais persuadé d'une chose. J'avais prit la bonne décision. Probablement ma meilleure de ma vie.

C'était son anniversaire. Ses seize ans. Déjà deux ans qu'elle avait débarqué comme un boulot de canon chez nous. Ça n'avait pas été facile au début. Surtout avec moi. Elle ne voulait ni m'approcher, ni me parler. Je pense qu'elle m'identifiait un peu à son beau-père. Comme si elle mettait tous les mecs dans le même panier. Je ne la blâme pas, j'aurais probablement fait pareil si j'avais vécu tout ce qu'elle a enduré. Mais je n'ai pas lâché, je n'ai pas abandonné. Et maintenant, je la considère vraiment comme ma fille. On a cette complicité qui n'existe que entre un père et son enfant. Cette complicité que je n'aurais jamais pensé avoir un jour. On peut dire que j'ai tout ce que j'ai toujours voulu. Une famille. Pour l'occasion, on l'avait autorisé à sortir la veille avec ses amis, et aujourd'hui, nous avions fait un petit truc entre nous. Rien de bien extraordinaire. Un petit repas avec un petit gâteau. S'il n'y avait eu que moi, je lui aurais organisé la plus belle fête de tous les temps. Mais elle voulait un truc simple. Juste nous trois. Alors c'est ce qu'on a fait. L'heure des cadeaux était arrivé. Lou-Ann lui a tendu les clés de sa voiture. « Qu'est-ce que tu dirais si je t'apprenais à conduire ? ». C'est normalement un truc dont le père se charge, mais ayant mon permis depuis peu, m'étant concentré sur mes études, c'est Lou-Ann qui s'en charge. Mais le vrai cadeau arrivait maintenant. Je lui ai mis dans les mains une enveloppe. Elle nous a interroger du regard. « Qu'est-ce que c'est ? ». « Ouvre. ». C'était son cadeau. Mais c'était aussi un peu le notre. Dans l'enveloppe, un papier. Une simple feuille de papier avec pleins de trucs écrit en tout petit et deux signatures en bas. La mienne et celle de Lou-Ann. « C'est pour de vrai ? ». Elle nous regardait avec ces yeux là. Ce regard qui me donne envie de la prendre dans mes bras pour lui faire oublié tout ce qu'elle a vécu. « Vrai de vrai. Tu es officiellement notre fille. ». Je me retenais pour m'empêcher de pleurer. Elle a fondu en larmes et nous a sauté dans les bras. « Je t'aime papa. Je t'aime maman. ». Je l'ai serrer si fort. « Nous t'aimons aussi ma puce. ».